À PROPOS

OBJETS ET FORMES

L’énigme, un chemin d’initiation?

Chaque objet, soigneusement sélectionné dans ce livre, à travers les formes qui lui sont propres, nous invite à renouveler notre perception et notre compréhension des messages qu’il contient. Ce nouveau point de départ, c’est-à-dire l’humble acceptation de notre connaissance parcellaire, peut se transformer en énigme. Cette approche de l’objet, considéré comme un secret, éveille l’esprit et le coeur à des réalités que nous ne soupçonnions guère. Un rapide regard sur la sculpture campée dans l’espace et le temps, sinon mesurée à l’aune de nos finances, ne suffit pas. C’est le temps que nous passons devant le message sculpté qui nous permet de mieux appréhender le réel, de nous ouvrir à d’autres questions, de nous enrichir. Tel est le chemin proposé dans ces chapitres : y repérer des clés de connaissance et d’approfondissement sur les plans stylistique et esthétique. Accepter l’énigme, c’est reconnaître qu’une part du mystère de l’objet nous échappe et que l’autre part, invisible, peut nous apparaître.

Le chemin d’initiation proposé est donc d’abord« un arrêt sur image », une approche détaillée qui nous fait nous exclamer, après un coup d’oeil rapide : « Oui, c’est connu ! » Comme l’écrit Philippe Dagen dans un article récent du journal Le Monde concernant l’exposition de gardiens de reliquaires au musée du quai Branly :« On s’épuiserait à énumérer, pour chaque type d’objet, l’étendue des variations que l’oeil peut observer. Or, les considérer ainsi, c’est simplement les considérer comme n’importe quelle oeuvre d’art de n’importe quelle autre civilisation de n’importe quel autre continent. » Cinq clés vont faciliter cette nouvelle approche du regard et ouvrir pour nous un réel chemin d’initiation.

Les masques et les statues du Gabon (chapitre 1) rendent compte de la lente évolution des formes sculptées dans la forêt équatoriale. Des visages émergent d’une technique de taille en réserve pour faire apparaître l’essentiel : le front et l’arête nasale, les arcades sourcilières protégeant le regard, les joues qui, doucement, se rejoignent en forme de coeur. Tantôt le regard domine, tantôt la bouche absente rappelle l’importance du silence initiatique. Les formes sont simples, épurées, et conduisent peu à peu dans la savane à d’autres plus réalistes, parfois plus belles, ou non, selon les goûts. La sculpture des Vuvi s’épanouit chez les Punu, les reliquaires des Mahongwe entraînent vers le sud les développements inédits de ceux des Obamba. L’art plus dense et plus sacré des forêts natales devient plus varié et plus réaliste dans les savanes subéquatoriales. Pouvons-nous présenter comme un point d’aboutissement absolu la statuaire des Fang, où les volumes juxtaposent et rassemblent la candeur de l’enfant à la force de l’ancien ? Est-ce un signe de réincarnation d’un ancêtre, oublié ou non ?

Avec les statues des Kongo, dans ce royaume qui émergea vers le xive siècle au milieu des savanes subéquatoriales, nous pensons reconnaître les mêmes traits morphologiques d’allure réaliste sans cesse répétés. Chaque signe a son sens, chaque organe sensitif a le sien, chaque attitude du corps répond à des esprits invisibles, bienveillants ou non. L’être humain, sculpté, revêtu d’une forme immatérielle nkisi se tient là, debout, en posture symétrique, face au danger comme c’est la coutume chez les Yombe. Il peut aussi, d’un geste tendu vers l’avant, le bras dressé, menacer les esprits néfastes, le corps couvert de clous et de lamelles de fer. Il représente en outre le chef mâchant la plante thérapeutique. L’attitude corporelle, la position des membres, la coiffure, emblème du rang social, le regard étincelant, éveillé sur des réalités invisibles, le ventre gonflé d’ingrédients magiques, habillé de l’éclat primordial du miroir couvrant la zone ombilicale, sont autant d’indices dont l’interprétation est plurielle. À côté de ce royaume où l’homme fort domine, les peuples voisins, les Teke, les Bembe et les Zombo, sculptent d’autres symboles mystérieux (chapitre 3).

Comment ne pas considérer comme une énigme ces corps ramassés, aux teintes variées, noires, rougeâtres, blanches, stigmatisant tel ou tel élément ? Ne nous y trompons pas ! Tout est mouvement. Une fois activé, l’esprit nkisi se met en branle. Tel un maître du combat, il sait quelle position adopter face à l’adversaire. Il est debout, le corps droit, les pieds bien plantés en terre face au danger. Ou encore, il s’accroupit pour être sur ses gardes et bondir au moment opportun. Évidemment, une effigie janiforme facilite la perception du danger qui peut survenir partout.

Il sera plus fort le couteau à lame courbe dans la main droite et, dans la gauche, la corne médicinale. Et si, pour nous dérouter et rappeler qu’il demeure mystérieux, il changeait les armes de main ou en prenait une autre : le fusil, par exemple ? Qu’en pensons-nous ?

Au coeur de l’Afrique centrale, chez les Songye, un autre pan de l’initiation va s’ouvrir. Avec une grande humilité, les figures ancestrales rappellent qu’elles ne sont qu’une force parmi les autres forces de l’univers. Pourquoi imaginer l’être humain supérieur à tant d’autres énergies dont nous ignorons la source ? Peuvent-elles être utilisées, manipulées ? Pouvons-nous nous les approprier dans un but apotropaïque ou agressif ? Et si l’être sculpté se présentait simplement comme un support actif du dynamisme greffé sur son corps pour protéger son village, son clan, sa famille ? La réputation des Songye, dont les formes redoutables sont reliées à un sculpteur sur bois, un forgeron, un devin magicien, offre un autre champ d’analyse des éléments présentés. Qui est visé par le dard d’un porc-épic, d’un insecte, d’un poisson ? Qui devient le maître des puissances cachées ?

Les sculpteurs luba ont abordé les esprits vidye par un autre biais (chapitre 5). L’omniprésence féminine est la clé de compréhension de l’univers, car, sans elle rien n’advient, et elle est le passage obligé de la vie, de la culture. Elle relie la voûte du ciel à la terre fertile, si proche de sa fécondité à elle. D’autres accents portent sur la mort et l’initiation des Pende, la séduction de la femme chez les Chokwe ou les rites des associations secrètes chez les Zande (chapitre 6).

Les formes peuvent devenir des repères d’identité d’un groupe humain, des preuves d’appartenance à telle ou telle société ; elles peuvent aussi s’emprunter, traits de connivence entre des associations voisines. Elles gardent toujours en elles cette idée essentielle qu’elles ne peuvent être définies par des concepts. L’image peut être en deçà de l’idée, elle exprime la simplicité de l’enfance, de l’initiation, du début d’un chemin à parcourir. Elle peut être riche, si riche qu’elle s’inscrit dans un mystère qui évolue sans cesse. La religion du vaudou l’exprime à sa manière : tout devient mystère. Rien n’empêche que ces formes s’expatrient vers d’autres continents, en Haïti, à Cuba, au Brésil. Et si, en définitive, certains y retrouvaient leurs traces dans des objets contemporains, sculptés ou peints ? Affirmons-le en conclusion : si les formes et les objets rencontrés cachent un mystère dans leur identité voilée, l’énigme, ils ouvrent sur d’autres horizons et révèlent des terres inconnues qu’il est merveilleux de découvrir.

« Il est infiniment plus important de sentir l’art,

de le vivre, de le pratiquer, que d’y penser. »

Antoni Tàpies

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